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Las flores del mal, por Charles Baudelaire (página 5)



Partes: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8

Los prolongados enlaces de las frases simbólicas,

-Rosarios murmurantes de madrigales místicos;

Libro voluptuoso, si jamás hubo alguno.

Y luego, ya sea en el fondo de un asilo frondoso,

Como bajo los soles de zonas diferentes,

El eterno balanceo de las olas embriagantes,

Y el aspecto renaciente de horizontes sin fin

Reconduzcan este corazón hacia el sueño divino,

Ya sea en los pesados ocios de un día canicular,

O bien en la ociosidad friolenta de frimario

Bajo las oleadas del tabaco que enmascaran el cielo raso,

-Yo por todas partes he hojeado el misterio profundo

De este libro tan caro a las almas adormecidas

Que su destino marca con las mismas enfermedades,

Y ante el espejo he perfeccionado

El arte cruel que un Demonio al nacer me ha dado,

-El Dolor para lograr una voluptuosidad verdadera, –

Y ensangrentar su mal y rascar su llaga.

Poeta, ¿es ésta una injuria o bien un cumplido?

Porque yo estoy frente a ti como un amante

Cara al fantasma, el gesto lleno de alicientes,

Del cual la mano y la mirada tienen para impulsar las fuerzas

Encantos desconocidos. – Todos los seres amados

Son vasos de hiel que se beben con los ojos cerrados.

Y el corazón traspasado que el dolor halaga

Expira cada día bendiciendo su flecha.

1843.

X

Noble mujer de brazo firme, que durante los largos días,

Sin pensar bien ni mal duermes o sueñas siempre

Fieramente alhajada a la antigua,

Tú que desde hace diez años, que para mí
se hacen lentos,

Mi boca, bien adiestrada para los besos suculentos

Halaga con un amor monástico –

Sacerdotisa del libertinaje, hermana mía en el placer
que siempre desdeñas llevar y nutrir

Un hombre en tus cavidades santas,

Tanto temes y tanto huyes del estigma alarmante

Que la virtud socava con su hierro infamante

En el flanco de las matronas preñadas.

1844.

XI

SOBRE UN ÁLBUM DE MADAME EMILE CHEVALET

En medio de la multitud, errantes, confundidas,

Conservando el recuerdo precioso de otros tiempos,

Ellas buscan el eco de sus voces desesperadas,

Tristes, como la noche, dos palomas perdidas

Y que se llaman en el bosque.

1845.

XII

Yo vivo, y tu perfume es la arquitectura:

Es él la belleza, porque yo soy la natura;

Si siempre la natura embellece la hermosura,

Yo hago valer tus flores… ¡heme aquí halagado!

1846.

XIII

[A Charles Asselineau]

De un espíritu extravagante el seductor proyecto

-¡Quién, entre tantos héroes va a escoger
a Bruandet!

1855.

XIV

MONSELET PAILLARD(Versos destinados a su retrato)

Me llaman el gatito;Modernas pequeñas amantes,

Yo agrego a vuestras delicadezas

La fuerza de un joven pacha.

La suavidad de la bóveda azul

Está concentrada en mi mirada;

Si queréis verme huraño,

Lectoras, mordedme la cola.

1864.

Proyecto de epílogo para la segunda edición de Las flores del mal

Tranquilo como un sabio, suave como un maldito

yo he dicho:

Yo te amo ¡oh! mi bellísima, oh mi encantadora…

Cuantas veces…

Tus desvíos sin sed y tus amores sin alma,

Tu anhelo de infinito

Que por todo, aun en el mismo mal, se proclama,

Tus bombas, tus puñales, tus victorias, tus festejos,

Tus arrabales melancólicos,Tus amuebladas,

Tus jardines llenos de suspiros e intrigas,

Tus templos vomitando las plegarias hechas música,

Tus desesperaciones de niño, tus juegos de virgen
loca,

Tus desalientos;

Y tus fuegos artificiales, erupciones de alegría,

Que hacen reír al Cielo, mudo y tenebroso.

Tu vicio venerable exhibido en la seda,Y tu virtud risible,
a la mirada desdichada,

Suave, extasiándose ante el lujo que despliega…

Tus principios salvados y tus leyes insultadas,

Tus monumentos altivos en los que se agarran las brumas,

Tus cúpulas metálicas inflamadas por el sol,

Tus reinas teatrales con voces encantadoras

Tus rebatos, tus cañones, orquesta ensordecedora,

Tus mágicos empedrados, erigidos en fortalezas,

Tus ínfimos oradores, con sus ampulosidades barrocas,

Predicando el amor, y por otra parte, tus cloacas llenas
de sangre,

Precipitándose en el Infierno cual Orinocos,

Tus ángeles, tus bufones flamantes con viejos harapos.

Ángeles revestidos de oro, de púrpura y de
jacinto,

¡Oh, vosotros! Testigos sois de que he cumplido mi
deber

Como un perfecto químico y como un alma santa.

Porque de cada cosa extraje la quintaesencia,

Tú me has dado tu barro y yo lo he convertido en oro.

1861.

Charles Baudelaire

LES FLEURS DU MAL

(édition de 1861)

POESIES

AU POETE IMPECCABLE

Au parfait magicien ès lettres françaises

A mon très-cher et très-vénéré

Maître et ami

THEOPHILE GAUTIER

Avec les sentiments

De la plus profonde humilité

Je dédie

Ces Fleurs maladives

C.B.

Au Lecteur

La sottise, l'erreur, le péché, la lésine,

Occupent nos esprits et travaillent nos corps,

Et nous alimentons nos aimables remords,

Comme les mendiants nourrissent leur vermine.

Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches;

Nous nous faisons payer grassement nos aveux,

Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,

Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.

Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste

Qui berce longuement notre esprit enchanté,

Et le riche métal de notre volonté

Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent!

Aux objets répugnants nous trouvons des appas;

Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,

Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.

Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange

Le sein martyrisé d'une antique catin,

Nous volons au passage un plaisir clandestin

Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.

Serré, fourmillant, comme un million d'helminthes,

Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,

Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons

Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.

Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,

N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins

Le canevas banal de nos piteux destins,

C'est que notre âme, hélas! n'est pas assez hardie.

Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,

Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,

Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,

Dans la ménagerie infâme de nos vices,

II en est un plus laid, plus méchant, plus immonde!

Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,

Il ferait volontiers de la terre un débris

Et dans un bâillement avalerait le monde;

C'est l'Ennui! L'oeil chargé d'un pleur involontaire,

II rêve d'échafauds en fumant son houka.

Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,

– Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère!

SPLEEN ET IDEAL

I – Bénédiction

Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,

Le Poète apparaît en ce monde ennuyé,

Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes

Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié:

-"Ah! que n'ai-je mis bas tout un noeud de vipères,

Plutôt que de nourrir cette dérision!

Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères

Où mon ventre a conçu mon expiation!

Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes

Pour être le dégoût de mon triste mari,

Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,

Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,

Je ferai rejaillir ta haine qui m'accable

Sur l'instrument maudit de tes méchancetés,

Et je tordrai si bien cet arbre misérable,

Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés!"

Elle ravale ainsi l'écume de sa haine,

Et, ne comprenant pas les desseins éternels,

Elle-même prépare au fond de la Géhenne

Les bûchers consacrés aux crimes maternels.

Pourtant, sous la tutelle invisible d'un Ange,

L'Enfant déshérité s'enivre de soleil

Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange

Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.

II joue avec le vent, cause avec le nuage,

Et s'enivre en chantant du chemin de la croix;

Et l'Esprit qui le suit dans son pèlerinage

Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.

Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte,

Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillité,

Cherchent à qui saura lui tirer une plainte,

Et font sur lui l'essai de leur férocité.

Dans le pain et le vin destinés à sa bouche

Ils mêlent de la cendre avec d'impurs crachats;

Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche,

Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas.

Sa femme va criant sur les places publiques:

"Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer,

Je ferai le métier des idoles antiques,

Et comme elles je veux me faire redorer;

Et je me soûlerai de nard, d'encens, de myrrhe,

De génuflexions, de viandes et de vins,

Pour savoir si je puis dans un coeur qui m'admire

Usurper en riant les hommages divins!

Et, quand je m'ennuierai de ces farces impies,

Je poserai sur lui ma frêle et forte main;

Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies,

Sauront jusqu'à son coeur se frayer un chemin.

Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite,

J'arracherai ce coeur tout rouge de son sein,

Et, pour rassasier ma bête favorite

Je le lui jetterai par terre avec dédain!"

Vers le Ciel, où son oeil voit un trône splendide,

Le Poète serein lève ses bras pieux

Et les vastes éclairs de son esprit lucide

Lui dérobent l'aspect des peuples furieux:

-"Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance

Comme un divin remède à nos impuretés

Et comme la meilleure et la plus pure essence

Qui prépare les forts aux saintes voluptés!

Je sais que vous gardez une place au Poète

Dans les rangs bienheureux des saintes Légions,

Et que vous l'invitez à l'éternelle fête

Des Trônes, des Vertus, des Dominations.

Je sais que la douleur est la noblesse unique

Où ne mordront jamais la terre et les enfers,

Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique

Imposer tous les temps et tous les univers.

Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre,

Les métaux inconnus, les perles de la mer,

Par votre main montés, ne pourraient pas suffire

A ce beau diadème éblouissant et clair;

Car il ne sera fait que de pure lumière,

Puisée au foyer saint des rayons primitifs,

Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière,

Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs!"

II – L'Albatros

Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage

Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,

Qui suivent, indolents compagnons de voyage,

Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,

Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,

Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches

Comme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!

Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid!

L'un agace son bec avec un brûle-gueule,

L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!

Le Poète est semblable au prince des nuées

Qui hante la tempête et se rit de l'archer;

Exilé sur le sol au milieu des huées,

Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

III – Elévation

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,

Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,

Par delà le soleil, par delà les éthers,

Par delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,

Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,

Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde

Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides;

Va te purifier dans l'air supérieur,

Et bois, comme une pure et divine liqueur,

Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins

Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,

Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse

S'élancer vers les champs lumineux et sereins;

Celui dont les pensers, comme des alouettes,

Vers les cieux le matin prennent un libre essor,

– Qui plane sur la vie, et comprend sans effort

Le langage des fleurs et des choses muettes!

IV – Correspondances

La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles;

L'homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent

Dans une ténébreuse et profonde unité,

Vaste comme la nuit et comme la clarté,

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,

– Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,

Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,

Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

V

J'aime le souvenir de ces époques nues,

Dont Phoebus se plaisait à dorer les statues.

Alors l'homme et la femme en leur agilité

Jouissaient sans mensonge et sans anxiété,

Et, le ciel amoureux leur caressant l'échine,

Exerçaient la santé de leur noble machine.

Cybèle alors, fertile en produits généreux,

Ne trouvait point ses fils un poids trop onéreux,

Mais, louve au coeur gonflé de tendresses communes

Abreuvait l'univers à ses tétines brunes.

L'homme, élégant, robuste et fort, avait le droit

D'être fier des beautés qui le nommaient leur roi;

Fruits purs de tout outrage et vierges de gerçures,

Dont la chair lisse et ferme appelait les morsures!

Le Poète aujourd'hui, quand il veut concevoir

Ces natives grandeurs, aux lieux où se font voir

La nudité de l'homme et celle de la femme,

Sent un froid ténébreux envelopper son âme

Devant ce noir tableau plein d'épouvantement.

O monstruosités pleurant leur vêtement!

O ridicules troncs! torses dignes des masques!

O pauvres corps tordus, maigres, ventrus ou flasques,

Que le dieu de l'Utile, implacable et serein,

Enfants, emmaillota dans ses langes d'airain!

Et vous, femmes, hélas! pâles comme des cierges,

Que ronge et que nourrit la débauche, et vous, vierges,

Du vice maternel traînant l'hérédité

Et toutes les hideurs de la fécondité!

Nous avons, il est vrai, nations corrompues,

Aux peuples anciens des beautés inconnues:

Des visages rongés par les chancres du coeur,

Et comme qui dirait des beautés de langueur;

Mais ces inventions de nos muses tardives

N'empêcheront jamais les races maladives

De rendre à la jeunesse un hommage profond,

– A la sainte jeunesse, à l'air simple, au doux front,

A l'oeil limpide et clair ainsi qu'une eau courante,

Et qui va répandant sur tout, insouciante

Comme l'azur du ciel, les oiseaux et les fleurs,

Ses parfums, ses chansons et ses douces chaleurs!

VI – Les Phares

Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,

Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer,

Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,

Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer;

Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,

Où des anges charmants, avec un doux souris

Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre

Des glaciers et des pins qui ferment leur pays;

Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,

Et d'un grand crucifix décoré seulement,

Où la prière en pleurs s'exhale des ordures,

Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement;

Michel-Ange, lieu vague où l'on voit des Hercules

Se mêler à des Christs, et se lever tout droits

Des fantômes puissants qui dans les crépuscules

Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts;

Colères de boxeur, impudences de faune,

Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,

Grand coeur gonflé d'orgueil, homme débile et jaune,

Puget, mélancolique empereur des forçats;

Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres,

Comme des papillons, errent en flamboyant,

Décors frais et légers éclairés par des lustres

Qui versent la folie à ce bal tournoyant;

Goya, cauchemar plein de choses inconnues,

De foetus qu'on fait cuire au milieu des sabbats,

De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues,

Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas;

Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,

Ombragé par un bois de sapins toujours vert,

Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges

Passent, comme un soupir étouffé de Weber;

Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,

Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,

Sont un écho redit par mille labyrinthes;

C'est pour les coeurs mortels un divin opium!

C'est un cri répété par mille sentinelles,

Un ordre renvoyé par mille porte-voix;

C'est un phare allumé sur mille citadelles,

Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois!

Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage

Que nous puissions donner de notre dignité

Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge

Et vient mourir au bord de votre éternité!

VII – La Muse malade

Ma pauvre muse, hélas! qu'as-tu donc ce matin?

Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,

Et je vois tour à tour réfléchis sur ton teint

La folie et l'horreur, froides et taciturnes.

Le succube verdâtre et le rose lutin

T'ont-ils versé la peur et l'amour de leurs urnes?

Le cauchemar, d'un poing despotique et mutin

T'a-t-il noyée au fond d'un fabuleux Minturnes?

Je voudrais qu'exhalant l'odeur de la santé

Ton sein de pensers forts fût toujours fréquenté,

Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques,

Comme les sons nombreux des syllabes antiques,

Où règnent tour à tour le père des chansons,

Phoebus, et le grand Pan, le seigneur des moissons.

VIII – La Muse vénale

O muse de mon coeur, amante des palais,

Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées,

Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,

Un tison pour chauffer tes deux pieds violets?

Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées

Aux nocturnes rayons qui percent les volets?

Sentant ta bourse à sec autant que ton palais

Récolteras-tu l'or des voûtes azurées?

II te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,

Comme un enfant de choeur, jouer de l'encensoir,

Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère,

Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas

Et ton rire trempé de pleurs qu'on ne voit pas,

Pour faire épanouir la rate du vulgaire.

IX – Le Mauvais Moine

Les cloîtres anciens sur leurs grandes murailles

Etalaient en tableaux la sainte Vérité,

Dont l'effet réchauffant les pieuses entrailles,

Tempérait la froideur de leur austérité.

En ces temps où du Christ florissaient les semailles,

Plus d'un illustre moine, aujourd'hui peu cité,

Prenant pour atelier le champ des funérailles,

Glorifiait la Mort avec simplicité.

– Mon âme est un tombeau que, mauvais cénobite,

Depuis l'éternité je parcours et j'habite;

Rien n'embellit les murs de ce cloître odieux.

O moine fainéant! quand saurai-je donc faire

Du spectacle vivant de ma triste misère

Le travail de mes mains et l'amour de mes yeux?

X – L'Ennemi

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,

Traversé çà et là par de brillants soleils;

Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,

Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j'ai touché l'automne des idées,

Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux

Pour rassembler à neuf les terres inondées,

Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve

Trouveront dans ce sol lavé comme une grève

Le mystique aliment qui ferait leur vigueur?

– O douleur! ô douleur! Le Temps mange la vie,

Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le coeur

Du sang que nous perdons croît et se fortifie!

XI – Le Guignon

Pour soulever un poids si lourd,

Sisyphe, il faudrait ton courage!

Bien qu'on ait du coeur à l'ouvrage,

L'Art est long et le Temps est court.

Loin des sépultures célèbres,

Vers un cimetière isolé,

Mon coeur, comme un tambour voilé,

Va battant des marches funèbres.

– Maint joyau dort enseveli

Dans les ténèbres et l'oubli,

Bien loin des pioches et des sondes;

Mainte fleur épanche à regret

Son parfum doux comme un secret

Dans les solitudes profondes.

XII – La Vie antérieure

J'ai longtemps habité sous de vastes portiques

Que les soleils marins teignaient de mille feux,

Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,

Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.

Les houles, en roulant les images des cieux,

Mêlaient d'une façon solennelle et mystique

Les tout-puissants accords de leur riche musique

Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.

C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,

Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs

Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,

Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,

Et dont l'unique soin était d'approfondir

Le secret douloureux qui me faisait languir.

XIII – Bohémiens en Voyage

La tribu prophétique aux prunelles ardentes

Hier s'est mise en route, emportant ses petits

Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits

Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes

Le long des chariots où les leurs sont blottis,

Promenant sur le ciel des yeux appesantis

Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,

Les regardant passer, redouble sa chanson;

Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert

Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert

L'empire familier des ténèbres futures.

XIV – L'Homme et la Mer

Homme libre, toujours tu chériras la mer!

La mer est ton miroir; tu contemples ton âme

Dans le déroulement infini de sa lame,

Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image;

Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur

Se distrait quelquefois de sa propre rumeur

Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets:

Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes;

O mer, nul ne connaît tes richesses intimes,

Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!

Et cependant voilà des siècles innombrables

Que vous vous combattez sans pitié ni remords,

Tellement vous aimez le carnage et la mort,

O lutteurs éternels, ô frères implacables!

XV – Don Juan aux Enfers

Quand Don Juan descendit vers l'onde souterraine

Et lorsqu'il eut donné son obole à Charon,

Un sombre mendiant, l'oeil fier comme Antisthène,

D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.

Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,

Des femmes se tordaient sous le noir firmament,

Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,

Derrière lui traînaient un long mugissement.

Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,

Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant

Montrait à tous les morts errant sur les rivages

Le fils audacieux qui railla son front blanc.

Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,

Près de l'époux perfide et qui fut son amant,

Semblait lui réclamer un suprême sourire

Où brillât la douceur de son premier serment.

Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre

Se tenait à la barre et coupait le flot noir;

Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,

Regardait le sillage et ne daignait rien voir.

XVI – Châtiment de l'Orgueil

En ces temps merveilleux où la Théologie

Fleurit avec le plus de sève et d'énergie,

On raconte qu'un jour un docteur des plus grands,

– Après avoir forcé les coeurs indifférents;

Les avoir remués dans leurs profondeurs noires;

Après avoir franchi vers les célestes gloires

Des chemins singuliers à lui-même inconnus,

Où les purs Esprits seuls peut-être étaient venus,

– Comme un homme monté trop haut, pris de panique,

S'écria, transporté d'un orgueil satanique:

"Jésus, petit Jésus! je t'ai poussé bien haut!

Mais, si j'avais voulu t'attaquer au défaut

De l'armure, ta honte égalerait ta gloire,

Et tu ne serais plus qu'un foetus dérisoire!"

Immédiatement sa raison s'en alla.

L'éclat de ce soleil d'un crêpe se voila

Tout le chaos roula dans cette intelligence,

Temple autrefois vivant, plein d'ordre et d'opulence,

Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui.

Le silence et la nuit s'installèrent en lui,

Comme dans un caveau dont la clef est perdue.

Dès lors il fut semblable aux bêtes de la rue,

Et, quand il s'en allait sans rien voir, à travers

Les champs, sans distinguer les étés des hivers,

Sale, inutile et laid comme une chose usée,

Il faisait des enfants la joie et la risée.

XVII – La Beauté

Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre,

Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,

Est fait pour inspirer au poète un amour

Eternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris;

J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes;

Je hais le mouvement qui déplace les lignes,

Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,

Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,

Consumeront leurs jours en d'austères études;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,

De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:

Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!

XVIII – L'Idéal

Ce ne seront jamais ces beautés de vignettes,

Produits avariés, nés d'un siècle vaurien,

Ces pieds à brodequins, ces doigts à castagnettes,

Qui sauront satisfaire un coeur comme le mien.

Je laisse à Gavarni, poète des chloroses,

Son troupeau gazouillant de beautés d'hôpital,

Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses

Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.

Ce qu'il faut à ce coeur profond comme un abîme,

C'est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime,

Rêve d'Eschyle éclos au climat des autans;

Ou bien toi, grande Nuit, fille de Michel-Ange,

Qui tors paisiblement dans une pose étrange

Tes appas façonnés aux bouches des Titans!

XIX – La Géante

Du temps que la Nature en sa verve puissante

Concevait chaque jour des enfants monstrueux,

J'eusse aimé vivre auprès d'une jeune géante,

Comme aux pieds d'une reine un chat voluptueux.

J'eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme

Et grandir librement dans ses terribles jeux;

Deviner si son coeur couve une sombre flamme

Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux;

Parcourir à loisir ses magnifiques formes;

Ramper sur le versant de ses genoux énormes,

Et parfois en été, quand les soleils malsains,

Lasse, la font s'étendre à travers la campagne,

Dormir nonchalamment à l'ombre de ses seins,

Comme un hameau paisible au pied d'une montagne.

XX – Le Masque

Statue allégorique dans le goût de la Renaissance

A Ernest Christophe, statuaire.

Contemplons ce trésor de grâces florentines;

Dans l'ondulation de ce corps musculeux

L'Elégance et la Force abondent, soeurs divines.

Cette femme, morceau vraiment miraculeux,

Divinement robuste, adorablement mince,

Est faite pour trôner sur des lits somptueux

Et charmer les loisirs d'un pontife ou d'un prince.

– Aussi, vois ce souris fin et voluptueux

Où la Fatuité promène son extase;

Ce long regard sournois, langoureux et moqueur;

Ce visage mignard, tout encadré de gaze,

Dont chaque trait nous dit avec un air vainqueur:

"La Volupté m'appelle et l'Amour me couronne!"

A cet être doué de tant de majesté

Vois quel charme excitant la gentillesse donne!

Approchons, et tournons autour de sa beauté.

O blasphème de l'art! ô surprise fatale!

La femme au corps divin, promettant le bonheur,

Par le haut se termine en monstre bicéphale!

– Mais non! ce n'est qu'un masque, un décor suborneur,

Ce visage éclairé d'une exquise grimace,

Et, regarde, voici, crispée atrocement,

La véritable tête, et la sincère face

Renversée à l'abri de la face qui ment

Pauvre grande beauté! le magnifique fleuve

De tes pleurs aboutit dans mon coeur soucieux

Ton mensonge m'enivre, et mon âme s'abreuve

Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux!

– Mais pourquoi pleure-t-elle? Elle, beauté parfaite,

Qui mettrait à ses pieds le genre humain vaincu,

Quel mal mystérieux ronge son flanc d'athlète?

– Elle pleure insensé, parce qu'elle a vécu!

Et parce qu'elle vit! Mais ce qu'elle déplore

Surtout, ce qui la fait frémir jusqu'aux genoux,

C'est que demain, hélas! il faudra vivre encore!

Demain. après-demain et toujours! – comme nous!

XXI – Hymne à la Beauté

Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme,

O Beauté? ton regard, infernal et divin,

Verse confusément le bienfait et le crime,

Et l'on peut pour cela te comparer au vin.

Tu contiens dans ton oeil le couchant et l'aurore;

Tu répands des parfums comme un soir orageux;

Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore

Qui font le héros lâche et l'enfant courageux.

Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres?

Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien;

Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,

Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques;

De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant,

Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques,

Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.

L'éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,

Crépite, flambe et dit: Bénissons ce flambeau!

L'amoureux pantelant incliné sur sa belle

A l'air d'un moribond caressant son tombeau.

Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,

O Beauté! monstre énorme, effrayant, ingénu!

Si ton oeil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte

D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu?

De Satan ou de Dieu, qu'importe? Ange ou Sirène,

Qu'importe, si tu rends, – fée aux yeux de velours,

Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine! –

L'univers moins hideux et les instants moins lourds?

XXII – Parfum exotique

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,

Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,

Je vois se dérouler des rivages heureux

Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone;

Une île paresseuse où la nature donne

Des arbres singuliers et des fruits savoureux;

Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,

Et des femmes dont l'oeil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,

Je vois un port rempli de voiles et de mâts

Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,

Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,

Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

XXIII – La Chevelure

O toison, moutonnant jusque sur l'encolure!

O boucles! O parfum chargé de nonchaloir!

Extase! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure

Des souvenirs dormant dans cette chevelure,

Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir!

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,

Tout un monde lointain, absent, presque défunt,

Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique!

Comme d'autres esprits voguent sur la musique,

Le mien, ô mon amour! nage sur ton parfum.

J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,

Se pâment longuement sous l'ardeur des climats;

Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève!

Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve

De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts:

Un port retentissant où mon âme peut boire

A grands flots le parfum, le son et la couleur

Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire

Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire

D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse

Dans ce noir océan où l'autre est enfermé;

Et mon esprit subtil que le roulis caresse

Saura vous retrouver, ô féconde paresse,

Infinis bercements du loisir embaumé!

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues

Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond;

Sur les bords duvetés de vos mèches tordues

Je m'enivre ardemment des senteurs confondues

De l'huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps! toujours! ma main dans ta crinière lourde

Sèmera le rubis, la perle et le saphir,

Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde!

N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde

Où je hume à longs traits le vin du souvenir?

XXIV

Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne,

O vase de tristesse, ô grande taciturne,

Et t'aime d'autant plus, belle, que tu me fuis,

Et que tu me parais, ornement de mes nuits,

Plus ironiquement accumuler les lieues

Qui séparent mes bras des immensités bleues.

Je m'avance à l'attaque, et je grimpe aux assauts,

Comme après un cadavre un choeur de vermisseaux,

Et je chéris, ô bête implacable et cruelle!

Jusqu'à cette froideur par où tu m'es plus belle!

XXV

Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle,

Femme impure! L'ennui rend ton âme cruelle.

Pour exercer tes dents à ce jeu singulier,

Il te faut chaque jour un coeur au râtelier.

Tes yeux, illuminés ainsi que des boutiques

Et des ifs flamboyants dans les fêtes publiques,

Usent insolemment d'un pouvoir emprunté,

Sans connaître jamais la loi de leur beauté.

Machine aveugle et sourde, en cruautés féconde!

Salutaire instrument, buveur du sang du monde,

Comment n'as-tu pas honte et comment n'as-tu pas

Devant tous les miroirs vu pâlir tes appas?

La grandeur de ce mal où tu te crois savante

Ne t'a donc jamais fait reculer d'épouvante,

Quand la nature, grande en ses desseins cachés

De toi se sert, ô femme, ô reine des péchés,

– De toi, vil animal, – pour pétrir un génie?

O fangeuse grandeur! sublime ignominie!

XXVI – Sed non satiata

Bizarre déité, brune comme les nuits,

Au parfum mélangé de musc et de havane,

Oeuvre de quelque obi, le Faust de la savane,

Sorcière au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits,

Je préfère au constance, à l'opium, au nuits,

L'élixir de ta bouche où l'amour se pavane;

Quand vers toi mes désirs partent en caravane,

Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.

Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme,

O démon sans pitié! verse-moi moins de flamme;

Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois,

Hélas! et je ne puis, Mégère libertine,

Pour briser ton courage et te mettre aux abois,

Dans l'enfer de ton lit devenir Proserpine!

XXVII

Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,

Même quand elle marche on croirait qu'elle danse,

Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés

Au bout de leurs bâtons agitent en cadence.

Comme le sable morne et l'azur des déserts,

Insensibles tous deux à l'humaine souffrance

Comme les longs réseaux de la houle des mers

Elle se développe avec indifférence.

Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants,

Et dans cette nature étrange et symbolique

Où l'ange inviolé se mêle au sphinx antique,

Où tout n'est qu'or, acier, lumière et diamants,

Resplendit à jamais, comme un astre inutile,

La froide majesté de la femme stérile.

XXVIII – Le Serpent qui danse

Que j'aime voir, chère indolente,

De ton corps si beau,

Comme une étoffe vacillante,

Miroiter la peau!

Sur ta chevelure profonde

Aux âcres parfums,

Mer odorante et vagabonde

Aux flots bleus et bruns,

Comme un navire qui s'éveille

Au vent du matin,

Mon âme rêveuse appareille

Pour un ciel lointain.

Tes yeux, où rien ne se révèle

De doux ni d'amer,

Sont deux bijoux froids où se mêle

L'or avec le fer.

A te voir marcher en cadence,

Belle d'abandon,

On dirait un serpent qui danse

Au bout d'un bâton.

Sous le fardeau de ta paresse

Ta tête d'enfant

Se balance avec la mollesse

D'un jeune éléphant,

Et ton corps se penche et s'allonge

Comme un fin vaisseau

Qui roule bord sur bord et plonge

Ses vergues dans l'eau.

Comme un flot grossi par la fonte

Des glaciers grondants,

Quand l'eau de ta bouche remonte

Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de Bohême,

Amer et vainqueur,

Un ciel liquide qui parsème

D'étoiles mon coeur!

XXIX – Une Charogne

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,

Ce beau matin d'été si doux:

Au détour d'un sentier une charogne infâme

Sur un lit semé de cailloux,

Le ventre en l'air, comme une femme lubrique,

Brûlante et suant les poisons,

Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique

Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,

Comme afin de la cuire à point,

Et de rendre au centuple à la grande Nature

Tout ce qu'ensemble elle avait joint;

Et le ciel regardait la carcasse superbe

Comme une fleur s'épanouir.

La puanteur était si forte, que sur l'herbe

Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,

D'où sortaient de noirs bataillons

De larves, qui coulaient comme un épais liquide

Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague

Ou s'élançait en pétillant

On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,

Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,

Comme l'eau courante et le vent,

Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique

Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,

Une ébauche lente à venir

Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève

Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète

Nous regardait d'un oeil fâché,

Epiant le moment de reprendre au squelette

Le morceau qu'elle avait lâché.

– Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,

A cette horrible infection,

Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,

Vous, mon ange et ma passion!

Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces,

Apres les derniers sacrements,

Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,

Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté! dites à la vermine

Qui vous mangera de baisers,

Que j'ai gardé la forme et l'essence divine

De mes amours décomposés!

XXX – De profundis clamavi

J'implore ta pitié, Toi, l'unique que j'aime,

Du fond du gouffre obscur où mon coeur est tombé.

C'est un univers morne à l'horizon plombé,

Où nagent dans la nuit l'horreur et le blasphème;

Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,

Et les six autres mois la nuit couvre la terre;

C'est un pays plus nu que la terre polaire

– Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois!

Or il n'est pas d'horreur au monde qui surpasse

La froide cruauté de ce soleil de glace

Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos;

Je jalouse le sort des plus vils animaux

Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,

Tant l'écheveau du temps lentement se dévide!

XXXI – Le Vampire

Toi qui, comme un coup de couteau,

Dans mon coeur plaintif es entrée;

Toi qui, forte comme un troupeau

De démons, vins, folle et parée,

De mon esprit humilié

Faire ton lit et ton domaine;

– Infâme à qui je suis lié

Comme le forçat à la chaîne,

Comme au jeu le joueur têtu,

Comme à la bouteille l'ivrogne,

Comme aux vermines la charogne

– Maudite, maudite sois-tu!

J'ai prié le glaive rapide

De conquérir ma liberté,

Et j'ai dit au poison perfide

De secourir ma lâcheté.

Hélas! le poison et le glaive

M'ont pris en dédain et m'ont dit:

"Tu n'es pas digne qu'on t'enlève

A ton esclavage maudit,

Imbécile! – de son empire

Si nos efforts te délivraient,

Tes baisers ressusciteraient

Le cadavre de ton vampire!"

XXXII

Une nuit que j'étais près d'une affreuse Juive,

Comme au long d'un cadavre un cadavre étendu,

Je me pris à songer près de ce corps vendu

A la triste beauté dont mon désir se prive.

Je me représentai sa majesté native,

Son regard de vigueur et de grâces armé,

Ses cheveux qui lui font un casque parfumé,

Et dont le souvenir pour l'amour me ravive.

Car j'eusse avec ferveur baisé ton noble corps,

Et depuis tes pieds frais jusqu'à tes noires tresses

Déroulé le trésor des profondes caresses,

Si, quelque soir, d'un pleur obtenu sans effort

Tu pouvais seulement, ô reine des cruelles!

Obscurcir la splendeur de tes froides prunelles.

XXXIII – Remords posthume

Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,

Au fond d'un monument construit en marbre noir,

Et lorsque tu n'auras pour alcôve et manoir

Qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse;

Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse

Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir,

Empêchera ton coeur de battre et de vouloir,

Et tes pieds de courir leur course aventureuse,

Le tombeau, confident de mon rêve infini

(Car le tombeau toujours comprendra le poète),

Durant ces grandes nuits d'où le somme est banni,

Te dira: "Que vous sert, courtisane imparfaite,

De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts?"

– Et le vers rongera ta peau comme un remords.

XXXIV – Le Chat

Viens, mon beau chat, sur mon coeur amoureux;

Retiens les griffes de ta patte,

Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,

Mêlés de métal et d'agate.

Lorsque mes doigts caressent à loisir

Ta tête et ton dos élastique,

Et que ma main s'enivre du plaisir

De palper ton corps électrique,

Je vois ma femme en esprit. Son regard,

Comme le tien, aimable bête

Profond et froid, coupe et fend comme un dard,

Et, des pieds jusques à la tête,

Un air subtil, un dangereux parfum

Nagent autour de son corps brun.

XXXV – Duellum

Deux guerriers ont couru l'un sur l'autre, leurs armes

Ont éclaboussé l'air de lueurs et de sang.

Ces jeux, ces cliquetis du fer sont les vacarmes

D'une jeunesse en proie à l'amour vagissant.

Les glaives sont brisés! comme notre jeunesse,

Ma chère! Mais les dents, les ongles acérés,

Vengent bientôt l'épée et la dague traîtresse.

– O fureur des coeurs mûrs par l'amour ulcérés!

Dans le ravin hanté des chats-pards et des onces

Nos héros, s'étreignant méchamment, ont roulé,

Et leur peau fleurira l'aridité des ronces.

– Ce gouffre, c'est l'enfer, de nos amis peuplé!

Roulons-y sans remords, amazone inhumaine,

Afin d'éterniser l'ardeur de notre haine!

XXXVI – Le Balcon

Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,

O toi, tous mes plaisirs! ô toi, tous mes devoirs!

Tu te rappelleras la beauté des caresses,

La douceur du foyer et le charme des soirs,

Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses!

Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon,

Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.

Que ton sein m'était doux! que ton coeur m'était bon!

Nous avons dit souvent d'impérissables choses

Les soirs illumines par l'ardeur du charbon.

Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées!

Que l'espace est profond! que le coeur est puissant!

En me penchant vers toi, reine des adorées,

Je croyais respirer le parfum de ton sang.

Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées!

La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison,

Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,

Et je buvais ton souffle, ô douceur! ô poison!

Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles.

La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison.

Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses,

Et revis mon passé blotti dans tes genoux.

Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses

Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton coeur si doux?

Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses!

Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,

Renaîtront-ils d'un gouffre interdit à nos sondes,

Comme montent au ciel les soleils rajeunis

Après s'être lavés au fond des mers profondes?

– O serments! ô parfums! ô baisers infinis!

XXXVII – Le Possédé

Le soleil s'est couvert d'un crêpe. Comme lui,

O Lune de ma vie! emmitoufle-toi d'ombre

Dors ou fume à ton gré; sois muette, sois sombre,

Et plonge tout entière au gouffre de l'Ennui;

Je t'aime ainsi! Pourtant, si tu veux aujourd'hui,

Comme un astre éclipsé qui sort de la pénombre,

Te pavaner aux lieux que la Folie encombre

C'est bien! Charmant poignard, jaillis de ton étui!

Allume ta prunelle à la flamme des lustres!

Allume le désir dans les regards des rustres!

Tout de toi m'est plaisir, morbide ou pétulant;

Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore;

II n'est pas une fibre en tout mon corps tremblant

Qui ne crie: O mon cher Belzébuth, je t'adore!

XXXVIII – Un Fantôme

I – Les Ténèbres

Dans les caveaux d'insondable tristesse

Où le Destin m'a déjà relégué;

Où jamais n'entre un rayon rose et gai;

Où, seul avec la Nuit, maussade hôtesse,

Je suis comme un peintre qu'un Dieu moqueur

Condamne à peindre, hélas! sur les ténèbres;

Où, cuisinier aux appétits funèbres,

Je fais bouillir et je mange mon coeur,

Par instants brille, et s'allonge, et s'étale

Un spectre fait de grâce et de splendeur.

A sa rêveuse allure orientale,

Quand il atteint sa totale grandeur,

Je reconnais ma belle visiteuse:

C'est Elle! noire et pourtant lumineuse.

II – Le Parfum

Lecteur, as-tu quelquefois respiré

Avec ivresse et lente gourmandise

Ce grain d'encens qui remplit une église,

Ou d'un sachet le musc invétéré?

Charme profond, magique, dont nous grise

Dans le présent le passé restauré!

Ainsi l'amant sur un corps adoré

Du souvenir cueille la fleur exquise.

De ses cheveux élastiques et lourds,

Vivant sachet, encensoir de l'alcôve,

Une senteur montait, sauvage et fauve,

Et des habits, mousseline ou velours,

Tout imprégnés de sa jeunesse pure,

Se dégageait un parfum de fourrure.

III – Le Cadre

Comme un beau cadre ajoute à la peinture,

Bien qu'elle soit d'un pinceau très-vanté,

Je ne sais quoi d'étrange et d'enchanté

En l'isolant de l'immense nature,

Ainsi bijoux, meubles, métaux, dorure,

S'adaptaient juste à sa rare beauté;

Rien n'offusquait sa parfaite clarté,

Et tout semblait lui servir de bordure.

Même on eût dit parfois qu'elle croyait

Que tout voulait l'aimer; elle noyait

Sa nudité voluptueusement

Dans les baisers du satin et du linge,

Et, lente ou brusque, à chaque mouvement

Montrait la grâce enfantine du singe.

IV – Le Portrait

La Maladie et la Mort font des cendres

De tout le feu qui pour nous flamboya.

De ces grands yeux si fervents et si tendres,

De cette bouche où mon coeur se noya,

De ces baisers puissants comme un dictame,

De ces transports plus vifs que des rayons,

Que reste-t-il? C'est affreux, ô mon âme!

Rien qu'un dessin fort pâle, aux trois crayons,

Qui, comme moi, meurt dans la solitude,

Et que le Temps, injurieux vieillard,

Chaque jour frotte avec son aile rude…

Noir assassin de la Vie et de l'Art,

Tu ne tueras jamais dans ma mémoire

Celle qui fut mon plaisir et ma gloire!

XXXIX

Je te donne ces vers afin que si mon nom

Aborde heureusement aux époques lointaines,

Et fait rêver un soir les cervelles humaines,

Vaisseau favorisé par un grand aquilon,

Ta mémoire, pareille aux fables incertaines,

Fatigue le lecteur ainsi qu'un tympanon,

Et par un fraternel et mystique chaînon

Reste comme pendue à mes rimes hautaines;

Etre maudit à qui, de l'abîme profond

Jusqu'au plus haut du ciel, rien, hors moi, ne répond!

– O toi qui, comme une ombre à la trace éphémère,

Foules d'un pied léger et d'un regard serein

Les stupides mortels qui t'ont jugée amère,

Statue aux yeux de jais, grand ange au front d'airain!

XL – Semper eadem

"D'où vous vient, disiez-vous, cette tristesse étrange,

Montant comme la mer sur le roc noir et nu?"

– Quand notre coeur a fait une fois sa vendange

Vivre est un mal. C'est un secret de tous connu,

Une douleur très simple et non mystérieuse

Et, comme votre joie, éclatante pour tous.

Cessez donc de chercher, ô belle curieuse!

Et, bien que votre voix soit douce, taisez-vous!

Taisez-vous, ignorante! âme toujours ravie!

Bouche au rire enfantin! Plus encor que la Vie,

La Mort nous tient souvent par des liens subtils.

Laissez, laissez mon coeur s'enivrer d'un mensonge,

Plonger dans vos beaux yeux comme dans un beau songe

Et sommeiller longtemps à l'ombre de vos cils!

XLI – Tout entière

Le Démon, dans ma chambre haute

Ce matin est venu me voir,

Et, tâchant à me prendre en faute

Me dit: "Je voudrais bien savoir

Parmi toutes les belles choses

Dont est fait son enchantement,

Parmi les objets noirs ou roses

Qui composent son corps charmant,

Quel est le plus doux."- O mon âme!

Tu répondis à l'Abhorré:

"Puisqu'en Elle tout est dictame

Rien ne peut être préféré.

Lorsque tout me ravit, j'ignore

Si quelque chose me séduit.

Elle éblouit comme l'Aurore

Et console comme la Nuit;

Et l'harmonie est trop exquise,

Qui gouverne tout son beau corps,

Pour que l'impuissante analyse

En note les nombreux accords.

O métamorphose mystique

De tous mes sens fondus en un!

Son haleine fait la musique,

Comme sa voix fait le parfum!"

XLII

Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire,

Que diras-tu, mon coeur, coeur autrefois flétri,

A la très belle, à la très bonne, à la très chère,

Dont le regard divin t'a soudain refleuri?

– Nous mettrons notre orgueil à chanter ses louanges:

Rien ne vaut la douceur de son autorité

Sa chair spirituelle a le parfum des Anges

Et son oeil nous revêt d'un habit de clarté.

Que ce soit dans la nuit et dans la solitude

Que ce soit dans la rue et dans la multitude

Son fantôme dans l'air danse comme un flambeau.

Parfois il parle et dit: "Je suis belle, et j'ordonne

Que pour l'amour de moi vous n'aimiez que le Beau;

Je suis l'Ange gardien, la Muse et la Madone."

XLIII – Le Flambeau vivant

Ils marchent devant moi, ces Yeux pleins de lumières,

Qu'un Ange très savant a sans doute aimantés

Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères,

Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés.

Me sauvant de tout piège et de tout péché grave,

Ils conduisent mes pas dans la route du Beau

Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave

Tout mon être obéit à ce vivant flambeau.

Charmants Yeux, vous brillez de la clarté mystique

Qu'ont les cierges brûlant en plein jour; le soleil

Rougit, mais n'éteint pas leur flamme fantastique;

Ils célèbrent la Mort, vous chantez le Réveil

Vous marchez en chantant le réveil de mon âme,

Astres dont nul soleil ne peut flétrir la flamme!

XLIV – Réversibilité

Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse,

La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,

Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits

Qui compriment le coeur comme un papier qu'on froisse?

Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse?

Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,

Les poings crispés dans l'ombre et les larmes de fiel,

Quand la Vengeance bat son infernal rappel,

Et de nos facultés se fait le capitaine?

Ange plein de bonté connaissez-vous la haine?

Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,

Qui, le long des grands murs de l'hospice blafard,

Comme des exilés, s'en vont d'un pied traînard,

Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres?

Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres?

Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,

Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment

De lire la secrète horreur du dévouement

Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avide!

Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides?

Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,

David mourant aurait demandé la santé

Aux émanations de ton corps enchanté;

Mais de toi je n'implore, ange, que tes prières,

Ange plein de bonheur, de joie et de lumières!

XLV – Confession

Une fois, une seule, aimable et douce femme,

A mon bras votre bras poli

S'appuya (sur le fond ténébreux de mon âme

Ce souvenir n'est point pâli);

II était tard; ainsi qu'une médaille neuve

La pleine lune s'étalait,

Et la solennité de la nuit, comme un fleuve,

Sur Paris dormant ruisselait.

Et le long des maisons, sous les portes cochères,

Des chats passaient furtivement

L'oreille au guet, ou bien, comme des ombres chères,

Nous accompagnaient lentement.

Tout à coup, au milieu de l'intimité libre

Eclose à la pâle clarté

De vous, riche et sonore instrument où ne vibre

Que la radieuse gaieté,

De vous, claire et joyeuse ainsi qu'une fanfare

Dans le matin étincelant

Une note plaintive, une note bizarre

S'échappa, tout en chancelant

Comme une enfant chétive, horrible, sombre, immonde,

Dont sa famille rougirait,

Et qu'elle aurait longtemps, pour la cacher au monde,

Dans un caveau mise au secret.

Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde:

"Que rien ici-bas n'est certain,

Et que toujours, avec quelque soin qu'il se farde,

Se trahit l'égoïsme humain;

Que c'est un dur métier que d'être belle femme,

Et que c'est le travail banal

De la danseuse folle et froide qui se pâme

Dans son sourire machinal;

Que bâtir sur les coeurs est une chose sotte;

Que tout craque, amour et beauté,

Jusqu'à ce que l'Oubli les jette dans sa hotte

Pour les rendre à l'Eternité!"

J'ai souvent évoqué cette lune enchantée,

Ce silence et cette langueur,

Et cette confidence horrible chuchotée

Au confessionnal du coeur.

XLVI – L'Aube spirituelle

Quand chez les débauchés l'aube blanche et vermeille

Entre en société de l'Idéal rongeur,

Par l'opération d'un mystère vengeur

Dans la brute assoupie un ange se réveille.

Des Cieux Spirituels l'inaccessible azur,

Pour l'homme terrassé qui rêve encore et souffre,

S'ouvre et s'enfonce avec l'attirance du gouffre.

Ainsi, chère Déesse, Etre lucide et pur,

Sur les débris fumeux des stupides orgies

Ton souvenir plus clair, plus rose, plus charmant,

A mes yeux agrandis voltige incessamment.

Le soleil a noirci la flamme des bougies;

Ainsi, toujours vainqueur, ton fantôme est pareil,

Ame resplendissante, à l'immortel soleil!

XLVII – Harmonie du Soir

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;

Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir;

Valse mélancolique et langoureux vertige!

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;

Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige;

Valse mélancolique et langoureux vertige!

Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige,

Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir!

Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir;

Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir,

Du passé lumineux recueille tout vestige!

Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige…

Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir!

XLVIII – Le Flacon

II est de forts parfums pour qui toute matière

Est poreuse. On dirait qu'ils pénètrent le verre.

En ouvrant un coffret venu de l'Orient

Dont la serrure grince et rechigne en criant,

Ou dans une maison déserte quelque armoire

Pleine de l'âcre odeur des temps, poudreuse et noire,

Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,

D'où jaillit toute vive une âme qui revient.

Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres,

Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,

Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,

Teintés d'azur, glacés de rose, lamés d'or.

Voilà le souvenir enivrant qui voltige

Dans l'air troublé; les yeux se ferment; le Vertige

Saisit l'âme vaincue et la pousse à deux mains

Vers un gouffre obscurci de miasmes humains;

II la terrasse au bord d'un gouffre séculaire,

Où, Lazare odorant déchirant son suaire,

Se meut dans son réveil le cadavre spectral

D'un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.

Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire

Des hommes, dans le coin d'une sinistre armoire

Quand on m'aura jeté, vieux flacon désolé,

Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,

Je serai ton cercueil, aimable pestilence!

Le témoin de ta force et de ta virulence,

Cher poison préparé par les anges! liqueur

Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon coeur!

XLIX – Le Poison

Le vin sait revêtir le plus sordide bouge

D'un luxe miraculeux,

Et fait surgir plus d'un portique fabuleux

Dans l'or de sa vapeur rouge,

Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.

L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes,

Allonge l'illimité,

Approfondit le temps, creuse la volupté,

Et de plaisirs noirs et mornes

Remplit l'âme au delà de sa capacité.

Tout cela ne vaut pas le poison qui découle

De tes yeux, de tes yeux verts,

Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers…

Mes songes viennent en foule

Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

Tout cela ne vaut pas le terrible prodige

De ta salive qui mord,

Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remords,

Et charriant le vertige,

La roule défaillante aux rives de la mort!

L – Ciel Brouillé

On dirait ton regard d'une vapeur couvert;

Ton oeil mystérieux (est-il bleu, gris ou vert?)

Alternativement tendre, rêveur, cruel,

Réfléchit l'indolence et la pâleur du ciel.

Tu rappelles ces jours blancs, tièdes et voilés,

Qui font se fondre en pleurs les coeurs ensorcelés,

Quand, agités d'un mal inconnu qui les tord,

Les nerfs trop éveillés raillent l'esprit qui dort.

Tu ressembles parfois à ces beaux horizons

Qu'allument les soleils des brumeuses saisons…

Comme tu resplendis, paysage mouillé

Qu'enflamment les rayons tombant d'un ciel brouillé!

O femme dangereuse, ô séduisants climats!

Adorerai-je aussi ta neige et vos frimas,

Et saurai-je tirer de l'implacable hiver

Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer?

LI – Le Chat

I

Dans ma cervelle se promène,

Ainsi qu'en son appartement,

Un beau chat, fort, doux et charmant.

Quand il miaule, on l'entend à peine,

Tant son timbre est tendre et discret;

Mais que sa voix s'apaise ou gronde,

Elle est toujours riche et profonde.

C'est là son charme et son secret.

Cette voix, qui perle et qui filtre

Dans mon fonds le plus ténébreux,

Me remplit comme un vers nombreux

Et me réjouit comme un philtre.

Elle endort les plus cruels maux

Et contient toutes les extases;

Pour dire les plus longues phrases,

Elle n'a pas besoin de mots.

Non, il n'est pas d'archet qui morde

Sur mon coeur, parfait instrument,

Et fasse plus royalement

Chanter sa plus vibrante corde,

Que ta voix, chat mystérieux,

Chat séraphique, chat étrange,

En qui tout est, comme en un ange,

Aussi subtil qu'harmonieux!

II

De sa fourrure blonde et brune

Sort un parfum si doux, qu'un soir

J'en fus embaumé, pour l'avoir

Caressée une fois, rien qu'une.

C'est l'esprit familier du lieu;

Il juge, il préside, il inspire

Toutes choses dans son empire;

Peut-être est-il fée, est-il dieu?

Partes: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
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